Le 1er décembre 2024, par Urbanitas.fr. Temps de lecture : huit minutes.
La vie dans la ville
Le 1er décembre 2024, par Urbanitas.fr. Temps de lecture : huit minutes.
Habitat en milieu naturel dans les Yvelines
Le village de cabanes flottantes de l’étang de la Galiotte, installé à Carrières-sous-Poissy (Yvelines) depuis la fin du xxe siècle, est menacé de destruction par le Département, propriétaire des lieux après exercice d’une préemption en 2010. Les habitants se mobilisent pour faire évoluer la perception de ces petites architectures insolites, « habitats bas-carbone et écologiques », en proposant de les insérer dans des projets culturels et pédagogiques. Découverte et histoire d’un petit monde entre fleuve et plan d’eau, niché au cœur d’un grand parc en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique.
Installé au creux de la boucle de la Seine au sud de la ville de Carrières-sous-Poissy (Yvelines), l’étang de la Galiotte accueille depuis la fin du xxe siècle une quarantaine de cabanons de pêcheurs habités de façon saisonnière. Ces chalets en bois, couverts de toitures en tôles ondulées et installés sur des barges flottantes, ont été créés sur les bords de l’étang formé après l’inondation et le remblai partiel d’anciennes sablières de la ville. Ce sont les ouvriers de ces carrières qui, s’inspirant de constructions similaires existant au Canada, ont d’abord bâti de petits abris de pêche qui se sont transformés au fil des années en véritables habitations.
Très poissonneux, l’étang de la Galiotte (du nom d’une petite embarcation fluviale traditionnelle) a vite attiré les parties de pêche des salariés de l’ancien chantier, qui se sont vus accorder une concession par leur entreprise, alors propriétaire du terrain, pour l’installation d’habitacles. En 2003, le journaliste Patrick Wassef et le photographe Yann Arthus-Bertrand ont immortalisé ces petites architectures insolites, d’abord faites de bric et de broc, dans leur ouvrage Les Yvelines vues du ciel.
En octobre 2010, changement de propriétaire : le conseil départemental des Yvelines préempte la centaine d’hectares de terrains abritant les anciens sites d’exploitation ainsi que plusieurs étangs. Le but : transformer cet espace, situé en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique, en un parc départemental dédié à la préservation de l’écosystème et à la sensibilisation aux faunes et aux flores du lieu. Inauguré en 2016, le parc du Peuple de l’herbe visait à développer une « urbanisation responsable » dans cette zone de la petite ville de Carrières-sous-Poissy, commune de 16 000 habitants, et « accompagner le développement urbain en offrant un espace naturel de qualité, ouvert sur la Seine ». Le lieu abrite une dizaine d’espèces de poisson (dont deux espèces invasives, le Lepomis gibbosus ou perche soleil et le Pseudorasbora parva), et diverses espèces de plantes protégées ou menacées (Cuscuta europaea, Cardamine impatiens, Ranunculus muricatus...).
Depuis l’acquisition par le Département et la création du parc, les occupants des chalets de l’étang avaient pu faire renouveler leurs conventions d’occupation auprès du nouveau propriétaire.
Problème : depuis 2021, le conseil départemental envisage de reprendre la maîtrise de cet étang, dans le cadre d’un projet de renaturation et de sécurisation des berges de l’étang. Selon la collectivité, les constructions installées sur les bords de l’étang de la Galiotte fragilisent et détériorent en effet cet environnement, qui forme un petit cordon de terre entre le plan d’eau et le cours de la Seine. L’habitation de ces parcelles au bord de l’eau soulève donc, selon le Département des Yvelines, des questions de sécurité, notamment pour les promeneurs du parc du Peuple de l’herbe. Autre problématique en cause : pendant la crise sanitaire, certains résidents des chalets auraient mené des travaux non autorisés sur leurs habitacles. « Nous avons observé (...) que les occupants faisaient des aménagements non autorisés. Nous souhaitons reprendre la maîtrise de cet étang, d’abord dans une optique de sécurité, puis de renaturation des berges ».
Première étape de cette réappropriation : le Département a passé de tacite à expresse le système de renouvellement des baux, et indique qu’il refusera toute reconduction à compter de fin 2025. Le projet à terme, non confirmé officiellement, est sans nul doute la démolition des habitations flottantes.
En novembre 2022, Emmanuel Soyer, président de l’association des chalets de l’étang, rencontre le président du Département Pierre Bédier pour lui soumettre un projet de conservation des habitations de l’étang, et de transformation pour en faire de véritables maisons bas carbone, dotées de panneaux solaires, de toitures végétales, et de systèmes de recyclage des eaux usées. Actuellement, les cabanes – non reliées aux réseaux électrique et d’eau courante – disposent d’une source d’électricité solaire ou éolienne, et sont équipées de toilettes sèches. Une configuration brandie par M. Soyer comme « un formidable exemple d’habitat bas carbone et écologique ».
Emmanuel Soyer propose aussi au Département d’intégrer les chalets dans un projet éducatif et culturel, avec l’organisation de visites scolaires, notamment autour de l’observation des espèces d’oiseaux présentes (cygnes, hérons, poules d’eau, foulques macroules...), l’accueil de résidences artistiques et l’organisation d’un « festival flottant » sur l’étang de la Galiotte.
M. Soyer reconnaît par ailleurs avoir observé des travaux d’extension de la part de certains résidents, en particulier pendant les périodes de confinement, mais il assure avoir fait le nécessaire pour rappeler à l’ordre les contrevenants, tous adhérents à son association. « Après le Covid, j’ai envoyé des lettres à ceux qui ne filaient pas droit dans l’association, en leur demandant d’entretenir leur chalet et de stopper les travaux non autorisés, sous peine d’être virés (de l’association, ndlr). Désormais, il n’y a plus rien qui dépasse. »
Mais, dès le début d’année 2023, le conseil départemental a fait s’évanouir les espoirs de l’association. La collectivité évoque notamment le projet global sur cette boucle de la Seine, dite « boucle de Chanteloup ». Cet espace paysager de la vallée de la Seine, qui s’étend de Carrières-sous-Poissy à Chanteloup-les-Vignes, fait en effet l’objet d’un plan d’aménagement comme site à enjeu inclus dans l’opération d’intérêt national (OIN) Seine Aval, déclarée par décret en 2007 et qui concerne en tout 51 communes. L’objectif de ce plan urbanistique et paysager est de faire dialoguer, grâce à la constitution de réserves foncières sur les deux rives du fleuve, des coteaux habités et des coteaux boisés. Les arcs de coteau intègrent en effet de nombreuses friches agricoles, polluées suite à des épandages. La réserve foncière de la Boucle de Chanteloup vise au développement « d’un projet environnemental, paysagé, agricole et forestier », avec en vue des plantations d’arbres, l’aménagement de liaisons douces, ou l’utilisation de parcelles pour former un Site naturel de compensation (SNC).
La rive sud de l’étang de la Galiotte devrait donc demeurer vierge de toute habitation, en attendant son futur aménagement, décidé conjointement par le conseil départemental des Yvelines, la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPS&O) et l’Établissement public d’aménagement du Mantois-Seine aval (EPAMSA).
En septembre 2023, l’association décide de participer aux Journées européennes du patrimoine, pour faire découvrir ce patrimoine d’architectures flottantes, et tenter de sensibiliser le grand public à leur situation en sursis. L’opération est un succès : quelque 1200 personnes répondent présent, et viennent visiter les petits chalets de la commune des Yvelines. Mais le Département ne goûte qu’assez peu cette publicité. Au mois d’octobre, alors que l’association menée par Emmanuel Soyer s’apprête à réitérer cette mise en avant à l’occasion des Journées de l’architecture, elle reçoit une menace d’expropriation immédiate de la part du Conseil des Yvelines. La collectivité fait valoir une organisation de l’événement faite sans son autorisation.
En septembre 2024, en ultime recours, les habitants de la rive sud de la Galiotte lancent une pétition en ligne. À ce jour, la demande collective a recueilli quelque 3400 signatures.
Inspirés de cabanes similaires observées au Canada, les chalets de l’étang s’apparentent à d’autres habitats populaires en France et en Europe. Ainsi des cabanons de pêcheurs du hameau de Beauduc, en Camargue, dont certains avaient été détruits en application de la loi Littoral en novembre 2004. Ce petit village de cabanoniers, en compagnie des flamants roses entre mer et marais salants, abritait deux restaurants, Marc et Mireille et Chez Juju, servant des produits de la mer pêchés sur place – poisson frais et tellines.
Du côté des landes de Gascogne, en Gironde, le bassin d’Arcachon abrite depuis les années 1940 les célèbres cabanes tchanquées, construites sur pilotis et accessibles en bateau ou à pied à marée basse. Citons aussi, sur les voies fluviales, les incontournables péniches habitables Freycinet, dont près des deux tiers (60 %, soit environ 1500 embarcations) sont situés en région parisienne (315 dans la capitale).
Le marché du tourisme a su s’inspirer de ces habitats insolites, parfois traditionnels (maisons flottantes aux Pays-Bas), en proposant à la location, le temps d’un séjour, de petites cabanes sur l’eau : chalets sur pilotis des lacs de Savoie (lac du Bourget), cabanes sur l’eau en Bretagne...
La Galiotte est un étang de 25 hectares implanté dans l’actuel parc du Peuple de l’herbe à Carrières-sous-Poissy. Comme d’autres étangs de la zone, il s’est formé sur d’anciennes sablières, gravières et ballastières exploitées à partir de 1957 par différentes compagnies – Le Sable du Bassin parisien, puis GSM. Dans la décennie qui suit, les carrières délaissées, situées sous le niveau de la nappe phréatique, s’inondent peu à peu pour former deux plans d’eau, l’étang de la Galiotte (inondé dans les années 1960) puis l’étang de la Vieille Ferme, plus récent (années 1980). S’ensuivent, au début des années 1990, des travaux de remblaiement des vastes excavations, notamment avec des déblais de chantiers de démolition dans la région. En parallèle, le site est inscrit à l’inventaire des anciens sites industriels et activités de services (BASIAS).
C’est sur cette zone que le Département décide d’installer l’actuel parc du Peuple de l’herbe. Ouvert au public en 2016, six ans après le lancement du projet, le parc du Peuple de l’herbe est un parc départemental de 113 hectares. Son élaboration s’inscrivait dans un projet d’urbanisation responsable : « accompagner le développement urbain en offrant un espace naturel de qualité, ouvert sur la Seine ». Le parc intègre des aménagements paysagers destinés à valoriser le patrimoine naturel du site, ainsi que des équipements de loisirs et de découvertes, en particulier une Maison des insectes et un observatoire de la faune aviaire. Le coût du chantier s’est élevé à 22 millions d’euros.
Urbanitas.fr
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