Le 6 avril 2025, par Urbanitas.fr. Temps de lecture : cinq minutes.


Sri Lanka : campagne de capture des chiens errants avant la visite de Narendra Modi

Animaux et gestion urbaine en Asie

À l’approche de la visite officielle du Premier ministre indien au Sri Lanka, une polémique éclate autour d’une opération de capture de chiens errants à Colombo et à Anuradhapura. Des associations de défense animale dénoncent une mesure cosmétique et cruelle.

Chiens errants au Sri Lanka / photographie de Heshan Weeramanthri via Unsplash (détail)
Chiens errants au Sri Lanka / photographie de Heshan Weeramanthri via Unsplash (détail) © Urbanitas, 2025

Un groupe srilankais de défense des droits des animaux a dénoncé jeudi une campagne de capture des chiens errants menée à Colombo et Anuradhapura, juste avant l’arrivée du Premier ministre indien Narendra Modi prévue vendredi.

Une dizaine de militants de l’ONG Rassemblement pour les droits des animaux et l’environnement (Rally for Animal Rights and the Environment, RARE) ont manifesté devant les bureaux du président srilankais Anura Kumara Dissanayake. Les pancartes brandies interrogeaient notamment la pertinence de cette opération de voirie, avec des messages comme « Non à l’enlèvement cruel de nos chiens de rue » ou « Il n’y a pas de chiens de rue en Inde ? ».

Des chiens « vaccinés, stérilisés et soignés par les habitants »

Selon l’ONG, les autorités auraient capturé des dizaines de chiens errants pour « nettoyer » les rues avant la venue du chef du gouvernement indien. L’association a appelé New Delhi à intervenir pour empêcher ce qu’elle qualifie de « déplacement cruel et inutile ».

RARE souligne que les chiens vivant dans les parcs de Colombo, notamment sur la place de l’Indépendance où doit être accueilli Narendra Modi, sont vaccinés, stérilisés et bénéficient des soins des habitants du quartier.

L’organisation indienne Blue Cross of India a également pris position en demandant au président srilankais de ne pas déplacer systématiquement les chiens errants uniquement en raison de cette visite officielle.

Le programme du Premier ministre indien comprend notamment une étape dimanche à Anuradhapura, située à 200 km au nord de Colombo, pour se recueillir auprès de l’arbre Sri Maha Bodhi. Ce spécimen de Ficus religiosa - l’espèce symbolisant la souveraineté du Sri Lanka - est considéré dans la tradition bouddhiste comme un rejet issu de l’arbre sous lequel Bouddha a atteint l’illumination, en Inde, il y a plus de 2500 ans.

Les animaux errants, une préoccupation des politiques urbaines

La relation entre les humains et les animaux a connu et connaît encore une métamorphose significative dans les sociétés des époques moderne et contemporaine, particulièrement en milieu urbain. Les avancées scientifiques remettent aujourd’hui en question la frontière traditionnelle entre l’homme et l’animal, tandis que l’évolution juridique reconnaît désormais l’animal comme « être sensible », marquant une rupture avec la conception de l’animal-objet.

La présence animale en ville est souvent plus importante que les citadins ne l’imaginent. Ainsi, une capitale comme Paris abrite une dizaine d’espèces d’amphibiens et de reptiles, une trentaine de mammifères et une centaine d’oiseaux. Cette biodiversité offre des opportunités écologiques tout en posant des défis de gestion pour les municipalités.

Le cas du chien, mis en scène par le romancier Émile Zola dans une nouvelle intitulée « La Journée d’un chien errant », illustre tout particulièrement les tensions inhérentes à la cohabitation urbaine.

Au xixe siècle, les grandes villes du monde ont été le théâtre de massacres de chiens errants d’une ampleur inédite. Ces tueries, qui se multiplient à travers le monde, de Mexico à Istanbul, en passant par Madrid et Paris, posent question. À l’époque, le chien occupait une place ambiguë, entre animal sauvage et compagnon domestique. La prolifération des chiens errants inquiète alors les autorités, qui mettent en place des politiques de contrôle strictes. En France, la taxe sur les chiens de 1855, associée à l’obligation de déclaration, permet de distinguer les animaux domestiques, identifiés et surveillés, des chiens errants, considérés comme indésirables. L’historien Nicolas Baron (Université de Bretagne Occidentale), invité dans l’émission de France Culture « Le cours de l’histoire », souligne la volonté de constituer une population canine parfaitement soumise à l’homme. L’identification des chiens par le port d’un collier ou d’une plaque nominative, comme celle qui permit à Napoléon III de retrouver son chien Nero, témoigne de cette volonté de contrôle.

La création des fourrières, institutions emblématiques du xixe siècle, illustrait cette volonté de contrôle. Les agents capturent les chiens errants et les enferment, avant de les vendre, de les donner à des laboratoires ou de les euthanasier.

Les raisons invoquées à l’époque pour justifier ces massacres sont multiples, notamment la lutte contre la rage.

Ces politiques de canicides ont façonné la relation entre l’homme et le chien ; et le chien de compagnie contemporain, docile et choyé, est l’héritier de la violence subie par ses congénères au xixe siècle.

Si le chien joue aujourd’hui un rôle social structurant pour les citadins, favorisant les relations sociales et servant parfois de support éducatif, il génère également des conflits entre propriétaires et non-propriétaires, notamment concernant les déjections canines. Ces tensions révèlent des visions antagonistes de l’urbanité : certains voient dans l’animal un rempart contre une ville déshumanisée, d’autres y perçoivent une forme d’incivilité.

En France, les associations de protection animale ont largement gagné en influence depuis la deuxième moitié du xxe siècle : l’AFIRAC, par exemple, créée en 1977, propose aux collectivités locales des solutions pour intégrer harmonieusement l’animal dans la ville, comme le « vespachien » et le « canisite », des dispositifs techniques visant à gérer la présence canine sans modifier l’environnement urbain. L’association a constitué un réseau d’experts et de villes partenaires, diffusant un savoir scientifique sur les relations entre humains et animaux.

Concernant les chats errants, la loi du 6 janvier 1999 a créé le statut de « chats libres ». Des associations comme l’École du chat libre, fondée en 1978, œuvrent à leur protection. Ces organisations mobilisent principalement des femmes, souvent appelées « mères nourricières », dont l’engagement prolonge un rôle traditionnellement féminin de protection du vivant.


Urbanitas.fr


Ressources en ligne

Ressource : RARE Rally for Animal Rights and Environment (raresl.org)

Ressource : Stray dog round-up sparks protests in Sri Lanka before PM Modi’s arrival (hindustantimes.com)

Ressource : Sri Lanka’s crackdown on street dogs for India PM’s visit sparks protest (adaderana.lk)

Ressource : Émile Zola. La Journée d’un chien errant (sambuc.fr)

Ressource : Nathalie Blanc : La place de l’animal dans les politiques urbaines [article]. Communications, 2003 (persee.fr)

Ressource : Épisode 3/4 : Sale temps pour les chiens, canicide dans la ville (radiofrance.fr)

Ressource : Bien-être animal : une préoccupation croissante (vie-publique.fr)

Entités liées

Narendra Modi, Anura Kumara Dissanayake, Sri Lanka, Inde, Colombo, Anuradhapura, Rassemblement pour les droits des animaux et l’environnement, Blue Cross of India, Sri Maha Bodhi, bouddhisme.


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